4 décembre 2017 - Conférence
Conférence dans le cadre du séminaire "Temps, espace, société" dont le thème 2017-2020 est: "Investir les générations suivantes/Investir dans les générations suivantes : comment construit-on des héritiers ?"
Fabriquer un danseur : filiations, formations et tissages des générations
S’intéresser aux phénomènes de diffusion des savoirs, c’est d’emblée avoir affaire à la question de l’inter-génération, en respect de ce double mouvement arpenté par le séminaire TES depuis 2011 : celui de la convocation des ancêtres (du passé reconduit dans le présent) ; et celui de la construction des héritiers (du futur anticipé dans l’ici et maintenant). La chose est particulièrement vraie dans le cadre des travaux que j’ai débutés dans les années 2010, dans le champ de la danse. C’est parce que ce monde a connu de profondes mutations institutionnelles au cours des 40 dernières années, notamment du point de vue de la manière dont émergent les nouvelles générations de danseurs, que je lui ai consacré une recherche parue en 2016 (Pédagogues de la danse : transmission des savoirs et champ chorégraphique, Fabert).
Mon entrée fut donc celle de la pédagogie. Une pédagogie prise dans toute son épaisseur, c’est-à-dire sommée de considérer ensemble les logiques afférentes à la transmission de savoirs et techniques spécifiques (qui constituent ce qu’est la danse à un temps donné), et des logiques communautaires, au sens le plus ouvert, générant et ré-générant des formes de vie spécifiques, comme aurait pu les désigner Wittgenstein. L’étude de cette pédagogie a débuté pragmatiquement. Pour reconstruire le plus fidèlement possible ce qu’est la transmission dans le champ de la danse, je décidais de regarder qui étaient ceux que l’on y désignait comme pédagogues. C’est à partir de ce travail que je répondrai à l’invitation du séminaire à propos du travail de construction intergénérationnelle. Car ces pédagogues – qui peuvent eux-mêmes êtres produits par un travail rétroactif (lorsque les générations actuelles « fabriquent et convoquent des ancêtres », pour reprendre l’expression du séminaire précédent) , se retrouvent fort influents au moment de construire celles qui suivront.
La conférence abordera ainsi plusieurs dimensions de cette construction. D’abord en reprenant la distinction proposée dans le titre du séminaire : investir les générations suivantes / investir dans les générations suivantes. Je montrerai comment le monde de la danse est passé d’une logique invasive, au sens de la contagion de l’autre, l’héritier, par son propre mouvement, à une logique prospective, au sens du placement visant une plus-value pour le collectif dans les décennies qui viendront. Si la bascule n’est pas si franche (et que les logiques peuvent se combiner), je prendrai le risque d’en faire apparaître des indices. Ceci conduira aux autres réflexions à propos de cette fabrication, du point de vue notamment de la nature de l’héritage reçu. De quoi au juste hérite-t-on qui nous institue, nous assigne, ou encore nous dote sous la forme d’un capital ou d’un devoir de mémoire à satisfaire ? De l’héritage identitaire, quasi patronymique (car l’on se fait aussi un nom avec celui des anciens), à l’héritage patrimonial (car la danse a constitué un corpus de savoirs foisonnant au cours du 20ème siècle notamment), il faudra aussi considérer que l’espace chorégraphique est aussi très largement celui de la réinvention, de la subversion voire de la transgression du passé.